comme des poussières,

illuminées par le soleil


[ Étagères de livres, bureau de travail, lampes et zone de lecture confèrent au premier abord un air d’inachevé à la galerie, qui conserve ainsi la forme que l’artiste lui a donné au cours de sa résidence de création. L’ensemble paraît vivant, tel le bureau d’un écrivain, et pour cause; l’endroit demeure un espace de de travail où l’artiste interviendra ponctuellement pendant l’exposition. Ces présences se feront sentir pour les visiteurs, mais aussi lors de séances webdiffusées, qui donneront accès, à la manière de micro-performances, à certaines tâches, manipulations et points de vue. 

Car Chenier travaille, c’est indéniable : le volume de production que le projet porte en lui pointe vers une volonté d’aller au bout de l’idée, d’épuiser les possibles. Par cela, l’artiste se positionne auprès de plusieurs de ses prédécesseurs qui ont approché - sinon attaqué - le potentiel du livre avec une sorte d’utopie : on pensera certainement à l’imposant corpus des Pages-miroir de Rober Racine (1980-1995), faits d’interventions précises et poétiques dans les pages du dictionnaire. La comparaison n’est pas triviale, dans la mesure où l’on sent chez Chenier la même vivacité d’esprit, la même érudition qui permet de penser le texte comme socle sur lequel se construit l’ensemble de sa pensée créatrice. C’était manifestement le cas dans certains projets antérieurs, dont Jappements à la lune qui braille (1968-1970/2017) (Centre d’artistes Caravansérail, Rimouski) une installation remarquable où étaient transposés en partitions sonores des poèmes de Claude Gauvreau 

Si plutôt que de citer des auteurs renommés, l’artiste emprunte ici du matériel trouvé, tombé en désuétude ou paraissant n’être d’aucun intérêt artistique, il semble néanmoins que la méthode de Chenier renvoie de nouveau à la construction d’un hypertexte, où son apport se définit face à des données existantes. Opérant des choix qui ajoutent ou qui soustraient, qui créent de nouveaux sens ou les occultent, l’artiste travaille avec ce qui est déjà là pour établir un dialogue avec le texte lui-même, mais aussi avec l’histoire de l’art, notamment en référant à certaines œuvres des années 1970. On reconnaîtra le modèle de la constellation inspirée de l’oeuvre de Sol Lewitt, All Ifs Ands Or Buts Connected by Green Lines (1973), elle aussi réalisée en utilisant la page de livre comme support. Mais l’oeil aguerri verra de même comment le mobilier créé par l’artiste renvoie à certains meubles dessinés par Donald Judd à partir du milieu des années 1970. Ce bagage historique contribue certainement à situer l’entreprise de Francys Chenier au croisement d’approches conceptuelles, littéraires et performatives, qui forment un tout d’une grande richesse, pour l’artiste autant que pour le spectateur. ] - Marie-Pier Bocquet
 
 
photos  ·  Jean-Michaël Seminaro 

merci à Emanuelle Choquette, Marie-Pier Bocquet ainsi qu'à Nicolas Mavrikakis et Jean-Michel Quirion